Les interviews Planète Rugby

Michel CRAUSTE

Football Club Lourdais.

Président

Propos recueillis par Astrid le 2 mai 2003.


 

 
Planète Rugby : Monsieur Crauste, après avoir arrêté le rugby, vers quelle activités vous êtes vous tourné ?

Michel Crauste : Je n'ai pratiquement jamais arrêté le rugby. Quand je n'ai plus été joueur, j'ai été entraîneur. Entraîneur à Morlaas pendant près de dix ans, entraîneur à Bagnères durant deux ans, et ensuite, j'ai été appelé à la FFR au comité directeur. Ensuite, je suis revenu à ma retraite professionnelle. Là, je me suis adonné à d'autres occupations. J'ai été adjoint au maire de Lons, adjoint au sport dans la banlieue de Pau. C'était l'époque où j'étais en même temps membre du comité directeur de la FFR. En 1995, j'ai été manager de l'EDF en préparation de la coupe du monde et j'ai accompagné cette équipe à Denver aux USA pour une tournée de trois semaines. Ensuite, j'ai quelque peu coupé du rugby et me suis réinvesti en 1997, lorsque je suis revenu à Lourdes, et là, avec des amis, on s'est retroussé les manches pour essayer de remettre le FC Lourdais à flots. J'ai pris les fonctions de président du club en 1998. Ce qui veut dire que depuis 1998, je suis revenu aux affaires du rugby et que je m'occupe activement de mon club pour essayer de lui faire passer le palier décisif qui l'amènerait en Pro D2. Tout en restant lucide et clairvoyant, je pense qu'au delà, le club ne pourra se maintenir tant il est vrai que maintenant, il faut des finances importantes pour accéder à la Pro A.

P.R.: Le 24 février 1962, vous avez réalisé l'exploit de marquer trois essais face aux anglais. Quels souvenirs gardez vous de ce match ?

M. Crauste : Pour moi, le fait d'avoir marqué trois essais n'a pas été une chose héroïque. Car je pense que le rugby a toujours été un sport d'équipe et que, fidèlement, se passer le ballon et être positionné au bon endroit au moment où l'on marque l'essai ne veut pas dire que l'on ait fait tout le travail pour marquer l'essai. L'essai est la conclusion d'un acte collectif, donc je me suis trouvé à point nommé pour conclure la combinaison collective qui avait été commandée. Il est vrai que l'on se sent un peu veinard, un peu chanceux d'avoir marqué trois essais, parce que ca n'arrive pas souvent. J'accorde cela surtout à l'ardeur, au dévouement et au collectif de mes copains qui m'ont permis de marquer ces trois essais.

P.R.: Quels sont les joueurs français qui vous ont le plus marqué ?

M. Crauste : A plusieurs titres, il y en a plusieurs. Je commencerai par Lucien Mias qui a été un grand capitaine de l'EDF et avec qui j'ai joué. Ensuite, il y a mon capitaine, qui était aussi capitaine de l'EDF et du Racing également, qui était François Moncla. André et Guy Boniface, qui ont été deux brillants joueurs et deux grands amis dans ma carrière. Il y a aussi Jean Barthe, mais pour les citer, il y en a beaucoup qui m'ont plu, et que j'ai admiré pour leur talent, leur volonté, leur générosité, et leurs qualités sportives.

P.R.: Dans votre livre (Au feu du rugby, paru aux éditions Solar en 1973), vous parlez de Jean Dauger ...

M. Crauste : Jean Dauger, c'était un grand ancien que tout le monde admirait. Il était de la génération avant moi, il a joué avec Jean Prat, qui est énorme aussi, et que j'ai beaucoup apprécié parce qu'il a été mon capitaine, mon entraîneur, en EDF et à Lourdes. Donc, c'est un homme que j'ai beaucoup admiré, et Jean Dauger, c'était la référence dans le rugby d'attaque. C'était un homme non seulement élégant mais très efficace, avec tout le talent.

P.R.: Que pensez vous de l'évolution présente des rugbys "annexes" : rugby universitaire et scolaire, rugby corporatif, et rugby militaire ?

M. Crauste : Je pense que tous les rugby se ressemblent. La référence du rugby, c'est toujours l'équipe de France, et le rugby, tel qu'il est joué en équipe de France, c'est la répercution : toutes les équipes essaient de jouer comme l'équipe de France. Quand l'équipe de France joue du bon rugby, on peut dire que partout ailleurs, on joue du bon rugby. Mais, pour l'heure, je crois que le rugby que l'on joue connait une métamorphose radicale, un changement. Et je pense qu'une fois que le rugby français aura pleinement assimilé et digéré le professionnalisme, je pense que l'on pourra se pencher sur un jeu fait de mouvements, et non pas d'empilages permanents comme celui que l'on voit actuellement.

P.R.: Votre sentiment sur les paradoxes rencontrés par le rugby en Ile de France, malgré une base saine et des regroupements de clubs : Un Stade Francais CASG rayonnant, un Métro-Racing se trainant en milieu de Pro D2, et un PUC disparu ?

M. Crauste : Je pense que tout cela est le résultat des dégats causés par le professionnalisme. Je ne critique pas le professionnalisme, parce que j'estime tout à fait normal qu'un joueur perçoive un salaire par rapport à sa qualité sportive, comme un docteur, un avocat ou un professeur peuvent percevoir un salaire par rapport à leur rang.

Le professionnalisme, je crois que c'est une chose, seulement c'est la gestion du professionnalisme qui devient difficile et je pense qu'au niveau des clubs, il sera de plus en plus difficile de faire du professionnalisme, parce qu'il faut beaucoup d'argent, et, ensuite, hormis l'élite qui devra être située un jour ou l'autre à un autre niveau que dans des clubs, je pense que partout ailleurs, il faudra que les joueurs sachent et comprennent qu'ils ont besoin de travailler. Parce qu"on ne peut pas vivre en Fédérale 1, en Pro D2, uniquement avec les salaires du rugby. D'autant que le rugby ne dure que pour une carrière, que de dix à douze ans. Ensuite, il faut faire autre chose, sitôt que le rugby s'est arrêté. Alors, s'étonner de voir que des clubs tels que le Racing et le PUC n'occupent plus les places fortes et premières qu'ils avaient autrefois, ne me parait pas anormal.

C'est la même chose qu'il se passe à Lourdes, et qu'il peut se passer à Tarbes, Dax, ou Mont de Marsan, où 'on voit des équipes qui font des apparitions en Pro A, et en Pro D2, et qui ensuite disparaissent. Cela, c'est l'effet de l'argent et du professionnalisme. Trouver de l'argent est une chose très difficile dans nos provinces, et je crois qu'il faudra faire du professionnalisme peut être dans de grandes régions et laisser aux clubs le soin d'animer, peut être en Pro D2, un grand championnat des clubs, avec des budgets inférieurs.

P.R.: Pensez vous que l'évolution des règles a changé le jeu lui-même, et, avec lui, l'esprit du jeu ?

M. Crauste : Oui, certainement, les règles ont beaucoup changé, ont privilégié le jeu de regroupement, le jeu au sol et ont pénalisé le jeu debout, le rugby porté. Alors c'est ce qui modifie sensiblement, même énormément le jeu. On voit des entraîneurs qui s'appliquent à faire travailler leur équipe pour qu'ils matérialisent chaque fois un gain de terrain en se mettant au sol, en sortant le ballon plus ou moins rapidement, ce qui permet aux défenses de se remettre en place et donc, ensuite, il y a des murs et des défenses infranchissables. Je pense qu'il serait de bon ton et de bon goût que l'on passe à d'autres règles pour essayer de retrouver un jeu plus agréable, fait davantage d'envolées, de mouvements, non seulement pour les joueurs, mais également pour les spectateurs.

P.R.: Avez vous constaté une évolution dans la règle du hors-jeu ?

M. Crauste : Le hors-jeu de maintenant est très difficile à définir. Il faut dire que les arbitres ont de plus en plus de responsabilités et, dans les cachoteries qu'il peut se faire dans les regroupements au sol, de loin, il est très difficile de déterminer qui est hors-jeu, qui est le plaqueur, le plaqué ...et cela, c'est l'arbitre qui est au plus près qui doit gérer ça.Maintenant, le hors-jeu dans le penchant est visible à l'oeil nu, mais, dans tous ces regroupements, c'est beaucoup plus difficile de le déterminer. Malheureusement, le rugby est un sport qui a beaucoup trop de règles, et c'est un sport qui change trop souvent de règles. Le foot, on le connait depuis très longtemps, et il n'a connu que très peu de modifications de règles. Au rugby, on vit perpétuellement avec des modifications de règles. Et tout le monde est perdu !

P.R.: Dans le rugby des années soixante, le coaching (changement des joueurs en fin de match), n'existait pas. Que pensez vous de cette méthode ?

M. Crauste : Ce n'est pas une mauvaise chose, car cela peut permettre à l'équipe de jouer un match beaucoup plus complet, pendant plus longtemps, en remplaçant des hommes fatigués par des hommes frais, et des hommes blessés par des hommes en bonne constitution physique. Cela ne me dérange pas, dès l'instant où tout le monde peut le faire, où la règle est la même pour tous. Je pense que cela n'est pas une mauvaise chose en soi.

P.R.: Toujours concernant le rugby des années 60, y-a-t il beaucoup de changements au niveau des ballons, des accessoires et des protections des joueurs ?

M. Crauste : Les ballons ont évolué. Ils sont plus légers, plus maniables, et on peut les saisir plus facilement. Ils sont moins lourds que nos ballons de rugby, lorsqu'ils étaient humides, et ins d'eau lorsqu'il pleuvait. Au niveau des protections, il y en a qui sont conseillées et qui sont portées, je pense notamment au protège-dents, aux épaulières, au serre-tête. Je crois que ce sont de bonnes évolutions.

P.R.: Le jeu sans ballon revetait il la même importance il y a 40 ans ?

M. Crauste : Le jeu sans ballon, cela veut dire prendre des positions, des placements, de façon à ce que quand on va recevoir le ballon, on puisse faire une action qui mette en danger la défense adverse. Donc, ce placement, ce jeu sans ballon, a toujours la même importance, car maintenant, il y a des gens qui sont concernés dans du jeu, et qu'ils l'étaient moins de mon époque.Je pense notamment aux piliers, aux deuxièmes lignes et aux avants.

P.R.: Pensez vous que le troisième ligne d'aujourd hui est différent ?

M. Crauste : Je pense que dans sa conception, le troisième ligne n'est pas différent. Ce sont les autres joueurs qui ont changé par rapport au troisième ligne. Le troisième ligne, c'était le chien de garde, le chien de berger, l'homme en pointe, en attaque, toujours en soutien auprès de ses trois-quarts.De part sa posititon, il était le premier à intervenir pour suivre le ballon, et je pense que le troisième ligne joue toujours de la même façon. C'est à dire, être toujours au plus près du ballon. Mais ce sont peut être les autres qui ont changé. Il est commun, et coutumier de voir des talonneurs et des piliers en plein milieu du terrain, au centre, à l'aile pour avoir le ballon. Avant, c'était la place du troisième ligne.

P.R.: A propos de votre club du FC Lourdes. N'est il pas difficile de compter deux grands clubs en Bigorre : le Stadoceste Tarbais et le FC Lourdes ?

M. Crauste : Non: Avant c'était pareil. Il y avait même trois clubs puisqu'il y avait Bagnères. Ce qui est gênant, c'est que l'on fasse une guerre entre ces trois clubs. Pour moi, il ne devrait pas y avoir de guerre. On essaie de rapprocher anormalement des clubs qui ont toujours été des clubs souverains avec leurs coutumes, leurs cultures, leurs traditions. Cela ne m'étonne pas que l'on ne puisse pas rapprocher le club montois de Dax, Bayonne de Biarritz, et Lourdes de Tarbes. Ce qu'il faudrait, c'est que les que les dirigeants s'inquiètent de savoir s'il ne serait pas possible de laisser les clubs tels qu'ils sont, et de faire un championnat, peut être en Pro D2 pour tous les clubs, et replacer l'élite du rugby, comme je l'ai dit précédemment, dans des équipes de province. Et tous les clubs seraient heureux, d'envoyer dans des grandes provinces leurs meilleurs joueurs, pour que la province soit la meilleure en France. Ce serait comme en Afrique du sud : la province serait destinée à faire des rencontres nationales, internationales et européennes. Je pense qu'un jour ou l'autre, il faudra que l'on arrive à cette solution. D'abord pour le jeu, et ensuite pour la finance.

P.R.: En Bigorre, les écoles de rugby sont-elles florissantes, et les jeunes sont ils motivés par une éventuelle réussite dans ce sport ?

M. Crauste : Non les écoles de rugby ne sont pas florissantes. On se retrousse les manches partout, dans tous les clubs pour faire de la formation, du recrutement, trouver des jeunes et les encourager. Malheureusement, il y a plusieurs facteurs qui font que les enfants ne sont pas enclins à venir au rugby: D'abord parce que les professeurs ne les envoient pas vers le rugby, ils ne sont plus des passionnés comme l'étaient de notre époque nos professeurs dans nos terres de rugby.

Ensuite, les parents ne sont pas forcément persuadés que leurs enfants vont aller jouer un bon jeu, calme et tranquille, en jouant au rugby. Parce qu'avec les affrontements qu'il y a actuellement, il y a de plus en plus de blessés. Et donc, il est vrai que les parents ne voient pas d'un très bon oeil leurs enfants partir faire du rugby, pour jouer ce rugby qui est en permanence un défi physique. Je pense que, contrairement à ce qu'avait fait le foot, la FFR et le rugby n'ont pas réussi, après les coupes du monde qui se sont passées récemment, à faire la propagande nécessaire pour encourager ces jeunes à venir vers nos écoles de rugby.

Nous sommes donc amenés à faire des regroupements. A Lourdes, on a un regroupement que nous appelons "Valmont". Il comprend les clubs d'Argelès, d'Abbé, de Saint Pé et de Lourdes. C'est à cette seule condition que l'on arrive à avoir des jeunes, et à répondre aux règles que nous impose la fédération. Il faut savoir que la fédération nous demande d'avoir un certain nombre de joueurs et d'équipes, pour être maintenu dans la division que l'on occupe.

P.R.: Pensez vous que le rapport de force actuel jeu à XIII, rugby à XV soit satisfaisant ?

M. Crauste : Le rugby à XIII est en perte de vitesse. Parce qu'il est débordé, et qu'il a des besoins financiers qu'il ne peut plus assurer. Son jeu n'est pas des plus brillants non plus, et il ne faudrait pas que le rugby à XV suive les mêmes traces. Pour l'heure, le rugby à XIII est en sommeil, on n'en parle pas trop, disons qu'il n'est pas des plus prisés. J'espère qu'un jour où l'autre, ils réussiront. Parce que le rugby à XIII, lorsqu'il est bien joué, est un joli jeu.

P.R.: Que pensez vous de la formule du championnat avec play-offs et play-downs ? Ne pensez vous pas que, comme pour le Super 12, on devrait donner des points aux clubs marqueurs d'essais ?

M. Crauste : Pour moi, toutes les formules sont bonnes à prendre, dès l'instant où l'on permet à tous les clubs de jouer à chances égales. Je pense que les grandes équipes réussissent fidèlement à se dégager rapidement. En France, il y a quatre grandes équipes, et les autres sont à la traîne et c'est regrettable ...Alors pourquoi ne pas avoir six grandes provinces, qui se rencontreraient entre elles, qui rencontreraient les britanniques, l'Australie, l'Afrique du sud, etc, etc ..;A ce moment là, je pense que l'on retrouverait en Pro D2 un championnat avec tous les clubs, pour que ces clubs puissent partager à chances égales leur chance d'avoir le bouclier de brennus.

P.R.: Vous organisez un pèlerinage à Lourdes les 27, 28, 29 et 30 juin prochains. Qu'attendez vous de ces journées ?

M. Crauste : Je souhaiterai que l'on réalise à Lourdes un grand rassemblement de tous les sportifs. Lourdes est une terre d'accueil, et une terre sportive. Chacun sait que beaucoup de personnes viennent pour se ressourcer et prier. Comme je suis un homme de foi, je trouve que l'esprit sportif s'apparente un petit peu à la croyance chrétienne. C'est à dire, que le rugbyman, tout comme le chrétien, est un homme généreux, un homme qui cherche à faire le bien autour de lui, qui essaie de répandre ses vertus qui sont fortes, qui sont l'humilité, la tolérance, le respect de l'autre. Je pense qu'à partir de ces bases, il faut montrer aux gens que les sportifs se réunissent à Lourdes avec cet esprit. Et comme les entreprises de plus en plus, font appel à cet esprit sportif, je pense que ce serait un beau flash de partout, dans toute la France, de faire un grand rassemblement de tous les sportifs ensembles, unitaire, amical et plein de fraternité.

Fin de l'entretien.

Nous tenons, encore une fois, à remercier Monsieur Crauste pour nous avoir accordé cette interview, et remercier
le site du FC Lourdes, ainsi que Monsieur Morrera.

Propos recueillis par Astrid, le 2 mai 2003.
Planète Rugby 2003


 

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