Planète Rugby : Comment êtes-vous
arrivés à ce poste au RC Narbonne ?
Pascal Pradier : J'ai longtemps joué au rugby de la
deuxième division à la série. Puis comme tout le monde
j'ai décidé qu'il était temps que j'arrête ma "carrière".
Il y avait à ce moment-là, deux médecins au club de
Narbonne. Par des connaissances communes, j'ai finalement
intégré le staff médical du club. Cela m'a permis de
rester dans le milieu du rugby sans pour autant être sur
le pré. C'est pour moi la solution idéale. Mais j'ai
toujours mon poste en médecine interne à l'hôpital de
Narbonne.P.R.
: Quel est l'emploi du temps d'un médecin d'un club
professionel ?
P.P. : Avec le travail de médecin à côté, cela fait
beuacoup d'heure de boulot et de contraintes. Selon les réglements
qui viennent d'entrer en vigueur, tous les entraînements
avec opposition et les matchs doivent être "médicalisés".
Le lundi, c'est un rendez-vous fixe où on fait un état
des lieux avec les joueurs après le match du week-end.
Le mercredi et le vendredi, il y a les entraînements. On
intervient qu'en cas de blessure. Mais nous sommes
joignables tout le temps par les joueurs. Lorsque des
nouveaux joueurs arrivent sans connaître du monde sur
place, je deviens le médecin de famille comme avec
Olivier Merle cette année. Je suis de plus le seul médecin
du club. Je suis tout de même accompagné d'un préparateur
physique, Philipe Colomb et de trois kinés, Philippe
Julien, Roger Nicolas et Martin Patrice.
P.R. : Et lors des
matches ?
P.P. : Il y a le match et autour du match comme les mises
au vert. Dans ce cas là, je suis présent pour rentrer
le plus possible dans le groupe et sentir au mieux les
joueurs. Je peux ainsi mieux répondre aux différentes
attentes des joueurs selon leur caractère. Il y a
beaucoup de psychologique dans notre tâche. Mais au
niveau travail de médecin c'est surtout l'avant-match
qui est chargé avec tous les joueurs à masser et les
différents bandages à faire. Pendant le match, s'il n'y
a pas de blessé, je n'ai pas en tant que médecin
beaucoup de choses à faire. Mais comme toujours, il faut
vivre dans le groupe.
P.R : Revenons
avant le match, les bandages que vous faites ne sont-ils
pas plus psychologiques que réellement efficaces ?
P.P. : Disons que c'est du 60/40 en faveur du "psychologique".
Ceux qui ont une efficacité réelle sont utilisés pour
des soucis chroniques. Mais le moment où on est seul
avec le joueur, à le masser ou à le bander, permet de
toujours mieux comprendre les attentes des uns et des
autres. On devient un confident aussi. Cela permet de
mieux gérer le quotidien et le stress de chacun. Au
final, on pratique de la médecine générale sur un
groupe d'hommes.
P.R. : Les médecins
des différents clubs de l'Elite se rencontrent-ils ?
P.P. : Oui, bien sûr. Nous sommes tous réunis au sein d'une
commission médicale dont Jean-Claude Perrin, médecin de
Grenoble, est président. Nous formons ensuite des
groupes de travail qui se réunissent pour débattre et réglementer
certaines questions. Ainsi aujourd'hui nous pronons un
suivi longitudinal qui permettrait de prévenir des dérives
du sport professionel. Ce suivi biologique se compose de
trois prises de sang dans l'année. Cela permet de protéger
le joueur et de le prévenir contre le surentraînement.
Dans ce domaine, on est passé de trois entraînements
par semaine à deux ou trois séances par jour.
P.R. : La question
de la créatine a longtemps agité le monde du rugby...
P.P. : Pourtant la créatine n'apporte rien si on la
prend pure et en complément alimentaire. Elle fait
prendre 1-2 kilos mais c'est bien souvent de l'eau. Dans
certains pays, on trouve la créatine mélangée avec de
vrais produits dopants. Avec cette créatine non pure, on
prend alors beaucoup de muscle. Mais ce n'est plus de la
créatine comme le grand public en entend parler.
P.R. : Comment le
médecin que vous êtes analyse le parcours d'un joueur
comme Thomas Castaignède qui était promis à un grand
avenir mais qui aujourd'hui casse pratiquement dès qu'il
pose un pied sur un terrain de rugby ?
P.P. : C'est un joueur qui a connu les anciennes cadences
de travail moins soutenues. Il n'était pas habitué aux
cadences de travail qui existent aujourd'hui. Il n'était
sans doute pas bien préparé à revenir. Dans une
analyse plus générale, certains joueurs blessés représentent
de gros intérêts financier alors il faut qu'on les voit
sur le terrain. Ils jouent mais sont contraints de dépasser
leurs limites physiques et "cassent". On voit
beaucoup de joueurs qui évoluent sous infiltration et
qui prennent ainsi un gros risque. Personellement, en
deux ans, j'ai fais deux infiltrations pour des côtes.
Je mets toujours la santé du joueur en avant. Par
exemple, Gonzalo Quesada est arrivé blessé à Narbonne.
J'ai refusé qu'il joue jusqu'à ce qu'il soit totalement
rétabli.
P.R. : Pendant la
polémique soulevée par Pierre Berbizier, pratiquement
tout le monde s'est accordé à dire que le dopage
organisé était absent du milieu du rugby...
P.P. : Moi j'ai mes convictions et je les garde sur ce
sujet. Si un entraîneur vient me voir et me dit "il
faut que..." Ce sera sans moi. S'il y a une chose
claire dans ma tête, c'est bien celle-là : jamais je ne
rentrerais dans ce système. Au RCNM, les gens l'ont
compris. Il y a plus que la performance pure du joueur.
Il y a aussi l'après-carrière. Moi le seul "dopant"
que je donne à mes joueurs, c'est de la vitamine C ;o).
Mon rôle maintenant, c'est de prévenir, s'il y a une
sanction, c'est déjà trop tard. C'est à ce moment là
que mon immersion dans le groupe me permet de mieux
sentir les joueurs et de voir ceux qui sont "en
danger". Car ce sont les joueurs faibles
psychologiquement, temporairement ou en permanence, qui
sont une cible privilégiée. Le système leur laisse
croire qu'ils vont devenir des grands. Plus grave, il y a
trop de pros dans le championnat de France actuellement.
Sur les 700 à 750 joueurs présents, seule une moitié
de ces joueurs a le niveau. Ceux qui sont justes tentent
d'accrocher le bon wagon même pour une saison ou deux et
ainsi profiter d'un salaire de cadre supérieur pendant
cette période. La réduction, à venir, de l'élite est
donc un premier élément de lutte contre le dopage.
P.R. : Il y en a d'autres
?
P.P. Oui, la formation arrive en première place. Les
jeunes qiu débutent le rugby aujourd'hui ou qui arrivent
à un certain niveau ont maintenant une habitude de s'entraîner
souvent, de jouer des matches intenses. Donc, si les
joueurs sont mieux préparés en amont et s'ils sont
moins nombreux dans l'élite, alors le dopage pourra être
combattu au mieux par l'ensemble du rugby français. Espérons
qu'il soit un peu plus aidé par le ministre de la
jeunesse et des sports, surtout financièrement...
Propos
recueillis
par M@xime Malet
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