Les interviews Planète Rugby

"Gérer le psychologique autant que le physique"
Pascal Pradier (Narbonne)

Hiver 2000-2001


Pour la deuxième saison, Pascal Pradier est le médecin du Racing Club Narbonne Corbières. Après avoir longtemps fréquenté les terrains de rugby au centre de la troisième ligne, il a franchi le pas et se retrouve aujourd'hui en charge de la santé des joueurs du club audois. Une fonction à plein temps et de plus en plus exposée.


Planète Rugby : Comment êtes-vous arrivés à ce poste au RC Narbonne ?
Pascal Pradier : J'ai longtemps joué au rugby de la deuxième division à la série. Puis comme tout le monde j'ai décidé qu'il était temps que j'arrête ma "carrière". Il y avait à ce moment-là, deux médecins au club de Narbonne. Par des connaissances communes, j'ai finalement intégré le staff médical du club. Cela m'a permis de rester dans le milieu du rugby sans pour autant être sur le pré. C'est pour moi la solution idéale. Mais j'ai toujours mon poste en médecine interne à l'hôpital de Narbonne.

P.R. : Quel est l'emploi du temps d'un médecin d'un club professionel ?
P.P. : Avec le travail de médecin à côté, cela fait beuacoup d'heure de boulot et de contraintes. Selon les réglements qui viennent d'entrer en vigueur, tous les entraînements avec opposition et les matchs doivent être "médicalisés". Le lundi, c'est un rendez-vous fixe où on fait un état des lieux avec les joueurs après le match du week-end. Le mercredi et le vendredi, il y a les entraînements. On intervient qu'en cas de blessure. Mais nous sommes joignables tout le temps par les joueurs. Lorsque des nouveaux joueurs arrivent sans connaître du monde sur place, je deviens le médecin de famille comme avec Olivier Merle cette année. Je suis de plus le seul médecin du club. Je suis tout de même accompagné d'un préparateur physique, Philipe Colomb et de trois kinés, Philippe Julien, Roger Nicolas et Martin Patrice.

P.R. : Et lors des matches ?
P.P. : Il y a le match et autour du match comme les mises au vert. Dans ce cas là, je suis présent pour rentrer le plus possible dans le groupe et sentir au mieux les joueurs. Je peux ainsi mieux répondre aux différentes attentes des joueurs selon leur caractère. Il y a beaucoup de psychologique dans notre tâche. Mais au niveau travail de médecin c'est surtout l'avant-match qui est chargé avec tous les joueurs à masser et les différents bandages à faire. Pendant le match, s'il n'y a pas de blessé, je n'ai pas en tant que médecin beaucoup de choses à faire. Mais comme toujours, il faut vivre dans le groupe.

P.R : Revenons avant le match, les bandages que vous faites ne sont-ils pas plus psychologiques que réellement efficaces ?
P.P. : Disons que c'est du 60/40 en faveur du "psychologique". Ceux qui ont une efficacité réelle sont utilisés pour des soucis chroniques. Mais le moment où on est seul avec le joueur, à le masser ou à le bander, permet de toujours mieux comprendre les attentes des uns et des autres. On devient un confident aussi. Cela permet de mieux gérer le quotidien et le stress de chacun. Au final, on pratique de la médecine générale sur un groupe d'hommes.

P.R. : Les médecins des différents clubs de l'Elite se rencontrent-ils ?
P.P. : Oui, bien sûr. Nous sommes tous réunis au sein d'une commission médicale dont Jean-Claude Perrin, médecin de Grenoble, est président. Nous formons ensuite des groupes de travail qui se réunissent pour débattre et réglementer certaines questions. Ainsi aujourd'hui nous pronons un suivi longitudinal qui permettrait de prévenir des dérives du sport professionel. Ce suivi biologique se compose de trois prises de sang dans l'année. Cela permet de protéger le joueur et de le prévenir contre le surentraînement. Dans ce domaine, on est passé de trois entraînements par semaine à deux ou trois séances par jour.

P.R. : La question de la créatine a longtemps agité le monde du rugby...
P.P. : Pourtant la créatine n'apporte rien si on la prend pure et en complément alimentaire. Elle fait prendre 1-2 kilos mais c'est bien souvent de l'eau. Dans certains pays, on trouve la créatine mélangée avec de vrais produits dopants. Avec cette créatine non pure, on prend alors beaucoup de muscle. Mais ce n'est plus de la créatine comme le grand public en entend parler.

P.R. : Comment le médecin que vous êtes analyse le parcours d'un joueur comme Thomas Castaignède qui était promis à un grand avenir mais qui aujourd'hui casse pratiquement dès qu'il pose un pied sur un terrain de rugby ?
P.P. : C'est un joueur qui a connu les anciennes cadences de travail moins soutenues. Il n'était pas habitué aux cadences de travail qui existent aujourd'hui. Il n'était sans doute pas bien préparé à revenir. Dans une analyse plus générale, certains joueurs blessés représentent de gros intérêts financier alors il faut qu'on les voit sur le terrain. Ils jouent mais sont contraints de dépasser leurs limites physiques et "cassent". On voit beaucoup de joueurs qui évoluent sous infiltration et qui prennent ainsi un gros risque. Personellement, en deux ans, j'ai fais deux infiltrations pour des côtes. Je mets toujours la santé du joueur en avant. Par exemple, Gonzalo Quesada est arrivé blessé à Narbonne. J'ai refusé qu'il joue jusqu'à ce qu'il soit totalement rétabli.

P.R. : Pendant la polémique soulevée par Pierre Berbizier, pratiquement tout le monde s'est accordé à dire que le dopage organisé était absent du milieu du rugby...
P.P. : Moi j'ai mes convictions et je les garde sur ce sujet. Si un entraîneur vient me voir et me dit "il faut que..." Ce sera sans moi. S'il y a une chose claire dans ma tête, c'est bien celle-là : jamais je ne rentrerais dans ce système. Au RCNM, les gens l'ont compris. Il y a plus que la performance pure du joueur. Il y a aussi l'après-carrière. Moi le seul "dopant" que je donne à mes joueurs, c'est de la vitamine C ;o). Mon rôle maintenant, c'est de prévenir, s'il y a une sanction, c'est déjà trop tard. C'est à ce moment là que mon immersion dans le groupe me permet de mieux sentir les joueurs et de voir ceux qui sont "en danger". Car ce sont les joueurs faibles psychologiquement, temporairement ou en permanence, qui sont une cible privilégiée. Le système leur laisse croire qu'ils vont devenir des grands. Plus grave, il y a trop de pros dans le championnat de France actuellement. Sur les 700 à 750 joueurs présents, seule une moitié de ces joueurs a le niveau. Ceux qui sont justes tentent d'accrocher le bon wagon même pour une saison ou deux et ainsi profiter d'un salaire de cadre supérieur pendant cette période. La réduction, à venir, de l'élite est donc un premier élément de lutte contre le dopage.

P.R. : Il y en a d'autres ?
P.P. Oui, la formation arrive en première place. Les jeunes qiu débutent le rugby aujourd'hui ou qui arrivent à un certain niveau ont maintenant une habitude de s'entraîner souvent, de jouer des matches intenses. Donc, si les joueurs sont mieux préparés en amont et s'ils sont moins nombreux dans l'élite, alors le dopage pourra être combattu au mieux par l'ensemble du rugby français. Espérons qu'il soit un peu plus aidé par le ministre de la jeunesse et des sports, surtout financièrement...

Propos recueillis
par
M@xime Malet

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